par Claude Gandelman
J'ai tenté de l'inscrire, cette peinture, dans une tradition qui était la grande tradition romantique et, plus précisément, la grande tradition romantique allemande. Mais Angela va peut-être plus loin que les peintres allemands.
Pour elle, il s'agit aussi d'alphabet, de l'alphabet de l'élémental, de l'élémentaire. Pour les autres, il s'agissait peut-être bien de l'absence de tout alphabet, de ne plus rien dire, d'écrire le silence. Pour Angela, au contraire, le silence des éléments parle, est alphabet (ou ne serait-ce que lettre…). Dans beaucoup de ses peintures, notamment dans celle intitulée Le Feu, on distingue des runes: le feu parle.
Angela s'inscrirait-elle dans une tradition plus large que celle de l'élémental romantique? Je pense à cette grande tradition cabbalistique, que ce soit la cabbale juive ou la cabbale chrétienne, pour laquelle le texte du grand livre de tous les livres, de la Bible, était dit avoir été écrit par Dieu en lettre de feu noir se détachant sur du feu blanc. La typographie de ces grands mystiques était une typographie du feu, une typographie de l'élémental. Et les lettres de cet élémental étaient les lettres de la Nature: feu, eau, terre, vent.
C'est ce problème de l'élémental, non tant comme silence que comme écriture qui est, bien évidemment, au centre de l'œuvre de notre artiste. Ce sont aussi les cabbalistes que je retrouve présents dans la peinture intitulée Terre avec son labyrinthe qui me rappelle peut-être moins la signature des constructeurs de cathédrales que la signature de Dieu telle que la voyaient les cabbalistes.
On voit ici la représentation de la terre – du monde entier – dans ce diagramme cabbalistique du seizième siècle par Moses Cordovero, de Cracovie, dans son livre intitulé Pardes Rimmonim. On voit comme la «couronne», keter, cabbalistique, enfermant le «royaume» situé au centre constitue un nom de dieu qu'il est, naturellement, impossible de déchiffrer.
Car l'oeuvre d'Angela montre à la fois l'impossibilité de déchiffrer et celle, non mions grande, de ne pas écrire.
Car l'oeuvre d'Angela montre à la fois l'impossibilité de déchiffrer et celle, non mions grande, de ne pas écrire.
Écrire sur du vent…et justement parce que l'écrit ne doit pas être déchiffré. Et puis, pour Angela, on écrit toujours sur de l'écriture puisque l'élémental lui-même est écriture. C'est surtout l'élément air dont j'ai parlé, celui qui, peut-être, m'a le plus attiré dans l’œuvre d'Angela. On peut peindre la terre, le feu même, pourtant assez insaisissable, mais comment peindre justement cet invisible par excellence qu'est l'air!
Quelle gageure incroyable il y a à vouloir capter l'incaptable : «Wenn er luft malt…». Mais l'air, le vent le souffle, en hébreu, c'est le même mot «ruah» qui veut dire aussi l'Esprit. C'est peut-être parce qu'ils sentaient obscurément cette liaison que tous les grands peintres qui constituent cette «tradition de l'élémental» dans laquelle s'inscrit l' œuvre d’Angela peignent le vent.
Et puis, cette fascination que les peintres ressentent pour l'air invisible, pour le vent qui est esprit (ce vent paraclet!), elle a aussi à voir avec le fait que le vent est présent dans le nom de dieu lui même.
On connaît ce fameux anagramme IHWH le tetragrammaton imprononçable! Il ne faudrait surtout pas dire Jéhovah, comme le fait la tradition chrétienne – car c'est justement faire de l'air, faire «sortir l'air», faire à dieu ce que lui nous a fait, c'est-à-dire a fait à notre ancêtre à tous, Adam, lorsqu'il insuffla en lui le pneuma, le tuah, la vie. On ne saurait prononcer «ho» et «ah». C'est pour cela, non pour autre chose, que le nom de Dieu est «indisable». C'est cet air-là, ce vent-là qui nous fascine et dont nous savons qu'il est justement interdit. La tradition chrétienne fait du nom de dieu, en prononçant ce nom, ce nom imprononçable, un être «pneumatique», et c'est a tort, c'est le premier acte d'idolâtrie. Mais la peinture du sublime élémental, la peinture des romantiques allemands, la peinture d'Angela, c'est, au contraire, présenter le pneuma à l'état pur, le présenter non comme ruah mais comme logos. YHWH dont voici la vision cabbalistique, écrit en feu noir sur du feu blanc:
ne se trouve pas parmi les runes d'Angela, et cependant, c'est cette écriture fondamentale, c'est-a-dire le monde comme «écriture de dieu», comme signature fixée sur du vent, que sa peinture évoque dans le moindre de ses aspects. Si, nous dit-elle, j'ai écris sur du vent, je fixe le non-fixable sur ma toile, c'est parce que je ne peux que parler de ce nom invisible, «imparlable» en termes de sa propre invisibilité et inintelligibilité. De fait, toute sa peinture nous dit ceci qu'il ne suffit peut-être pas de remonter à cette tradition du silence romantique, si proche de nous dans le temps, mais qu'il convient de retourner à une tradition pour laquelle -qu'on l'appelle préhistorique, runique, ou cabbalistique – le monde était, avant tout autre chose, ÉCRITURE. Les tableaux d'Angela sont de l’ÉCRITURE SUR DE L'ÉCRITURE. Nous l'avons dit: ils signifient l'impossibilité de déchiffrer mais aussi l'impossibilité de ne pas voir que tout est écriture, que tout est (déjà) écrit.
Et puis, cette fascination que les peintres ressentent pour l'air invisible, pour le vent qui est esprit (ce vent paraclet!), elle a aussi à voir avec le fait que le vent est présent dans le nom de dieu lui même.
On connaît ce fameux anagramme IHWH le tetragrammaton imprononçable! Il ne faudrait surtout pas dire Jéhovah, comme le fait la tradition chrétienne – car c'est justement faire de l'air, faire «sortir l'air», faire à dieu ce que lui nous a fait, c'est-à-dire a fait à notre ancêtre à tous, Adam, lorsqu'il insuffla en lui le pneuma, le tuah, la vie. On ne saurait prononcer «ho» et «ah». C'est pour cela, non pour autre chose, que le nom de Dieu est «indisable». C'est cet air-là, ce vent-là qui nous fascine et dont nous savons qu'il est justement interdit. La tradition chrétienne fait du nom de dieu, en prononçant ce nom, ce nom imprononçable, un être «pneumatique», et c'est a tort, c'est le premier acte d'idolâtrie. Mais la peinture du sublime élémental, la peinture des romantiques allemands, la peinture d'Angela, c'est, au contraire, présenter le pneuma à l'état pur, le présenter non comme ruah mais comme logos. YHWH dont voici la vision cabbalistique, écrit en feu noir sur du feu blanc:
ne se trouve pas parmi les runes d'Angela, et cependant, c'est cette écriture fondamentale, c'est-a-dire le monde comme «écriture de dieu», comme signature fixée sur du vent, que sa peinture évoque dans le moindre de ses aspects. Si, nous dit-elle, j'ai écris sur du vent, je fixe le non-fixable sur ma toile, c'est parce que je ne peux que parler de ce nom invisible, «imparlable» en termes de sa propre invisibilité et inintelligibilité. De fait, toute sa peinture nous dit ceci qu'il ne suffit peut-être pas de remonter à cette tradition du silence romantique, si proche de nous dans le temps, mais qu'il convient de retourner à une tradition pour laquelle -qu'on l'appelle préhistorique, runique, ou cabbalistique – le monde était, avant tout autre chose, ÉCRITURE. Les tableaux d'Angela sont de l’ÉCRITURE SUR DE L'ÉCRITURE. Nous l'avons dit: ils signifient l'impossibilité de déchiffrer mais aussi l'impossibilité de ne pas voir que tout est écriture, que tout est (déjà) écrit.